Lorsqu’un saint abbé refusa humblement de faire peindre son image, ses amis utilisèrent la ruse pour faire la peinture.
Armand Jean Le Bouthillier de Rancé (1626-1700), abbé d’un monastère trappiste, refusa de faire peindre son portrait, par humilité. Le duc de Saint-Simon et le peintre Hyacinthe Rigaud décident d’utiliser la ruse pour immortaliser le visage du moine.
L’histoire se déroule à Soligny-La-Trappe, dans le nord-ouest de la France, en 1696. Une belle lumière illumine le bureau de l’abbé de Rancé. Le silence habituel qui règne à l’Abbaye de La Trappe offre un calme studieux et idéal. Cependant, le peintre Hyacinthe Rigaud est agité. Qu’est-ce qui l’a poussé à accepter ce travail ?
Les clients ne manquaient pas pour le plus grand portraitiste européen. La cour et la noblesse lui fournissent assez de travail. Mais le voici, déguisé en officier et sur le point de se faire passer pour un étranger pour observer un modèle qui n’avait aucune envie d’être peint.
« Ne vous inquiétez pas », dit le duc de Saint-Simon, son client. « Je m’occuperai de la conversation. Vous pouvez vous concentrer sur l’abbé de Rancé.
Mission presque impossible?
Rigaud doit admettre que l’abbé du monastère de Trappe l’intrigue. Il doit être très spécial si le duc est prêt à user de ruse pour immortaliser cet homme.
Tout ce que le peintre sait de lui, c’est qu’il est à l’origine des réformes strictes de l’Ordre cistercien. C’est surprenant, étant donné que l’abbé avait été riche et mondain dans sa jeunesse, se livrant aux plaisirs de la vie de cour.
Pourtant, grâce à lui, le monastère de Trappe (à l’origine des moines trappistes d’aujourd’hui) est devenu un lieu extraordinaire de vertu et de prière. L’abbaye attira de nombreux ecclésiastiques et l’abbé de Rancé serait un théologien hors pair.
C’est peut-être pour cela que Rigaud avait accepté : avoir la chance de voir cet illustre personnage qui ne quitte jamais son abbaye. Ou peut-être était-ce le défi d’avoir à peindre de mémoire uniquement. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait pas reculer.
La porte s’ouvre enfin et Rigaud se lève en retenant son souffle. Le moine est un septuagénaire vêtu d’un habit blanc et d’une capuche. Il marche lentement, traînant derrière lui le poids des années. Selon le duc, il ne sort quasiment jamais de l’infirmerie de l’abbaye. Pourtant, son sourire exprime une sérénité indéniable.
« Père Abbé », dit le duc, « c’est l’officier dont je vous ai parlé. » Rigaud salue à son tour brièvement l’abbé, en prenant soin d’exagérer son bégaiement. Il s’agit de lui servir d’alibi pour pouvoir observer sans avoir à parler, sans éveiller les soupçons.
Pendant que le duc et l’abbé discutent, Rigaud s’éloigne un peu pour commencer son observation. Le visage de l’abbé de Rancé semble se transformer au fur et à mesure qu’il parle. La sagesse qui émane de lui n’est pas seulement celle d’un vieillard, mais celle d’un philosophe. Cependant, les paroles du vieil abbé ne se réfèrent jamais à lui-même. Jamais Rigaud n’a entendu quelqu’un parler si bien en parlant si peu de lui-même.
Une déception pour une grande œuvre d’art
Les traits de l’abbé sont en parfaite harmonie avec ses propos. Son sourire montre la satisfaction d’une vie bien vécue. Ses rides, en revanche, montrent les souffrances et les pénitences qu’il a subies au cours de sa vie. Dans ses yeux vifs brillent l’intelligence et la présence d’une belle âme. Rigaud sait déjà qu’ils seront les plus difficiles à reproduire.
La séance dure trois quarts d’heure, comme celle du lendemain. Le lendemain, cela ne dure qu’une demi-heure. Après chaque visite, Rigaud se concentre entièrement sur sa toile, s’acharnant à reproduire ce visage si expressif et riche de caractère.
Si l’abbé trouvait l’expérience inhabituelle, il n’en donnait aucun signe. Une fois le visage terminé, Rigaud crayonne le corps en prenant pour modèle un autre moine portant le même habit, avant de rentrer à Paris pour terminer son portrait. Le résultat a ému le duc de Saint-Simon aux larmes.
Rigaud acheva le tableau en 1697. Il en était si fier qu’il en fit plusieurs copies, malgré l’exclusivité demandée par son client. Le duc se consola en pensant qu’à travers ces copies d’autres personnes feraient la connaissance de l’illustre et vertueux abbé.
En proie à la culpabilité, le duc finit par avouer sa tromperie à l’abbé de Rancé dans une lettre. Ce dernier lui répondit : « Un certain empereur a dit qu’il aimait la trahison et détestait les traîtres. Je me contenterai de haïr la trahison et d’aimer le traître.
C’est Louis de Rouvroy, le duc de Saint-Simon lui-même, qui rapporta ces faits dans son Mémoires. Le tableau se trouve aujourd’hui à l’abbaye de La Trappe, à Soligny-la-Trappe.


Lorsqu’un saint abbé refusa humblement de faire peindre son image, ses amis utilisèrent la ruse pour faire la peinture.
Armand Jean Le Bouthillier de Rancé (1626-1700), abbé d’un monastère trappiste, refusa de faire peindre son portrait, par humilité. Le duc de Saint-Simon et le peintre Hyacinthe Rigaud décident d’utiliser la ruse pour immortaliser le visage du moine.
L’histoire se déroule à Soligny-La-Trappe, dans le nord-ouest de la France, en 1696. Une belle lumière illumine le bureau de l’abbé de Rancé. Le silence habituel qui règne à l’Abbaye de La Trappe offre un calme studieux et idéal. Cependant, le peintre Hyacinthe Rigaud est agité. Qu’est-ce qui l’a poussé à accepter ce travail ?
Les clients ne manquaient pas pour le plus grand portraitiste européen. La cour et la noblesse lui fournissent assez de travail. Mais le voici, déguisé en officier et sur le point de se faire passer pour un étranger pour observer un modèle qui n’avait aucune envie d’être peint.
« Ne vous inquiétez pas », dit le duc de Saint-Simon, son client. « Je m’occuperai de la conversation. Vous pouvez vous concentrer sur l’abbé de Rancé.
Mission presque impossible?
Rigaud doit admettre que l’abbé du monastère de Trappe l’intrigue. Il doit être très spécial si le duc est prêt à user de ruse pour immortaliser cet homme.
Tout ce que le peintre sait de lui, c’est qu’il est à l’origine des réformes strictes de l’Ordre cistercien. C’est surprenant, étant donné que l’abbé avait été riche et mondain dans sa jeunesse, se livrant aux plaisirs de la vie de cour.
Pourtant, grâce à lui, le monastère de Trappe (à l’origine des moines trappistes d’aujourd’hui) est devenu un lieu extraordinaire de vertu et de prière. L’abbaye attira de nombreux ecclésiastiques et l’abbé de Rancé serait un théologien hors pair.
C’est peut-être pour cela que Rigaud avait accepté : avoir la chance de voir cet illustre personnage qui ne quitte jamais son abbaye. Ou peut-être était-ce le défi d’avoir à peindre de mémoire uniquement. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait pas reculer.
La porte s’ouvre enfin et Rigaud se lève en retenant son souffle. Le moine est un septuagénaire vêtu d’un habit blanc et d’une capuche. Il marche lentement, traînant derrière lui le poids des années. Selon le duc, il ne sort quasiment jamais de l’infirmerie de l’abbaye. Pourtant, son sourire exprime une sérénité indéniable.
« Père Abbé », dit le duc, « c’est l’officier dont je vous ai parlé. » Rigaud salue à son tour brièvement l’abbé, en prenant soin d’exagérer son bégaiement. Il s’agit de lui servir d’alibi pour pouvoir observer sans avoir à parler, sans éveiller les soupçons.
Pendant que le duc et l’abbé discutent, Rigaud s’éloigne un peu pour commencer son observation. Le visage de l’abbé de Rancé semble se transformer au fur et à mesure qu’il parle. La sagesse qui émane de lui n’est pas seulement celle d’un vieillard, mais celle d’un philosophe. Cependant, les paroles du vieil abbé ne se réfèrent jamais à lui-même. Jamais Rigaud n’a entendu quelqu’un parler si bien en parlant si peu de lui-même.
Une déception pour une grande œuvre d’art
Les traits de l’abbé sont en parfaite harmonie avec ses propos. Son sourire montre la satisfaction d’une vie bien vécue. Ses rides, en revanche, montrent les souffrances et les pénitences qu’il a subies au cours de sa vie. Dans ses yeux vifs brillent l’intelligence et la présence d’une belle âme. Rigaud sait déjà qu’ils seront les plus difficiles à reproduire.
La séance dure trois quarts d’heure, comme celle du lendemain. Le lendemain, cela ne dure qu’une demi-heure. Après chaque visite, Rigaud se concentre entièrement sur sa toile, s’acharnant à reproduire ce visage si expressif et riche de caractère.
Si l’abbé trouvait l’expérience inhabituelle, il n’en donnait aucun signe. Une fois le visage terminé, Rigaud crayonne le corps en prenant pour modèle un autre moine portant le même habit, avant de rentrer à Paris pour terminer son portrait. Le résultat a ému le duc de Saint-Simon aux larmes.
Rigaud acheva le tableau en 1697. Il en était si fier qu’il en fit plusieurs copies, malgré l’exclusivité demandée par son client. Le duc se consola en pensant qu’à travers ces copies d’autres personnes feraient la connaissance de l’illustre et vertueux abbé.
En proie à la culpabilité, le duc finit par avouer sa tromperie à l’abbé de Rancé dans une lettre. Ce dernier lui répondit : « Un certain empereur a dit qu’il aimait la trahison et détestait les traîtres. Je me contenterai de haïr la trahison et d’aimer le traître.
C’est Louis de Rouvroy, le duc de Saint-Simon lui-même, qui rapporta ces faits dans son Mémoires. Le tableau se trouve aujourd’hui à l’abbaye de La Trappe, à Soligny-la-Trappe.


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